En janvier 2019, en plein mouvement des « gilets jaunes », Emmanuel Macron annonçait une grande consultation nationale, notamment par le biais de « cahiers citoyens et d’expression libre ». Auparavant, l’Association des maires ruraux de France avait ouvert des cahiers de doléances dans le cadre de l’opération « Mairies ouvertes »,lancée dès l’automne 2018 afin de recueillir localement la parole des administrés. Au total, au moins 230 000 personnes se rendirent dans plus de 16 000 mairies et y déposèrent leurs contributions. Plus de 20 000 cahiers furent rédigés.
La référence historique explique en partie ce succès : les 60 000 cahiers de doléances de 1789 sont des joyaux de notre patrimoine. Les hommes du passé étaient conscients de leur valeur : certains furent aussitôt imprimés et publiés. Ceux des citoyens les plus modestes furent quant à eux versés dans les archives publiques.
Un siècle plus tard, sous la IIIe République, la publication de l’intégralité des cahiers fut considérée comme une mesure de sauvegarde de la démocratie contre les menaces qui l’entouraient. Le 27 novembre 1903, Jean Jaurès interpella les députés :
Fondée pour l’occasion, la commission pour la recherche et la publication des documents relatifs à la vie économique de la Révolution française transmit ainsi un patrimoine considérable : celui de la parole populaire de 1789.
La présence dans les archives ne suffit pas
Nous sommes en 2024. Cinq ans après, alors que les dangers s’accumulent sur la démocratie, les cahiers de doléances de 2019 n’ont toujours pas été rendus publics. Le chef de l’Etat s’y était pourtant engagé.
Certes, ces cahiers n’ont jamais été vraiment « cachés ». Rapidement numérisés, ils ont été transcrits puis conservés tels quels aux Archives nationales. Les versions papier sont, quant à elles, retournées dans les archives départementales. Grâce au travail des archivistes, la majorité des cahiers y est aujourd’hui librement consultable. Les autres ne le sont que sur dérogation, parce qu’ils contiennent des informations protégées par le code du patrimoine, au titre de la protection de la vie privée. Des chercheurs ont déjà consulté ces corpus et publié le résultat partiel de leurs travaux. Dans plusieurs départements, des collectifs citoyens se mobilisent pour transcrire le contenu de ces cahiers puis les diffuser.
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