L’affiche avait de quoi séduire plus d’un amateur de rugby. Samedi 5 juillet, les All Blacks reçoivent l’équipe de France masculine de rugby, à Dunedin (Nouvelle-Zélande), pour le premier de trois test-matchs très attendus (9 h 05, heure de Paris). Restant sur une série de trois défaites consécutives face aux Français, dont celle en match d’ouverture de la Coupe du monde 2023, en France (27-13), les Néo-Zélandais ont toutes les raisons de vouloir prendre leur revanche.
Pourtant, à l’heure de ces retrouvailles, un mélange d’amertume et de résignation prédomine parmi les fans de l’équipe à la fougère. Comme chaque été, la Fédération française de rugby (FFR) a choisi de laisser ses joueurs dits « premium » – à savoir ses têtes d’affiche – au repos après une saison éprouvante, et de faire sa tournée estivale avec un effectif largement remanié.
Face à une formation que beaucoup présentent comme « bis », voire « expérimentale », les All Blacks savent qu’une éventuelle victoire sera moins éclatante en raison de l’absence des emblématiques Antoine Dupont, Damian Penaud, Thomas Ramos ou encore Grégory Alldritt. Et au pays du long nuage blanc, la colère croît face à cette affiche démonétisée, ce qu’assume l’encadrement tricolore. , explique Abdelatif Benazzi, vice-président de la FFR chargé de l’international.
Crise structurelle
La décision française, liée à un problème de calendrier surchargé pour les joueurs internationaux du Top 14, crée des crispations, car ces rencontres revêtent une importance qui dépasse le cadre sportif en Nouvelle-Zélande. Là-bas, chaque test-match représente un événement national, essentiel à l’équilibre financier du rugby local. S’il demeure une référence mondiale en matière de formation et de performance, le rugby néo-zélandais traverse une crise structurelle. Ainsi, en dépit de recettes record, New Zealand Rugby (NZR), la fédération nationale, a essuyé une perte nette de 10 millions d’euros en 2024.
, a reconnu Mark Robinson, directeur général de l’instance auprès du média public RNZ. Dans ce contexte, les tournées internationales des All Blacks et l’image dont ils jouissent constituent des leviers financiers indispensables. La venue du prestigieux XV de France devait permettre de dynamiser la billetterie, les droits télévisuels, le merchandising et les partenariats commerciaux. Mais cela paraît difficile quand les têtes d’affiche du rugby tricolore ne sont pas de la partie.
Dans la presse néo-zélandaise, l’indignation est perceptible.,a déclaré le journaliste Will Kelleher sur X. NZR a dû revoir ses ambitions à la baisse : adieu l’emblématique enceinte de l’Eden Park d’Auckland et ses 50 000 places. Les matchs face aux Bleus « bis » se dérouleront dans des stades de moindre capacité, comme celui de Dunedin (30 000 places), samedi. Les instances néo-zélandaises avaient également envisagé de délocaliser l’une des rencontres aux Etats-Unis, marché en plein essor, où les All Blacks multiplient les opérations commerciales, mais la FFR s’y est opposée, , confirme Abdelatif Benazzi.
, a répondu, jeudi en conférence de presse, le sélectionneur français, Fabien Galthié, déclarant les critiques néo-zélandaises – d’autant que la France est la à se priver de ses cadres lors de la tournée d’été, a-t-il précisé. Sur ce choix, fruit d’une négociation avec la Ligue nationale de rugby à propos de la mise à disposition des internationaux, la fédération internationale, World Rugby, se tient en retrait. Elle considère en effet que ces matchs, organisés hors de son périmètre direct, ne justifient pas son intervention.
« Préserver les joueurs »
Au-delà des tensions qu’elle provoque, cette controverse illustre les fractures entre deux modèles de rugby. Dans l’hémisphère Sud, les fédérations nationales conservent la mainmise sur l’ensemble du système, des clubs aux sélections, avec une priorité assumée : aligner les meilleurs joueurs en équipe nationale à chaque échéance majeure. Une stratégie dont pâtissent les clubs, aux antipodes de la puissance du Top 14, considéré comme le meilleur championnat de la planète.
En Europe, en effet, où les saisons s’étendent sur près de dix mois, les compétitions nationales occupent une place prépondérante, et les joueurs bénéficient de conventions collectives encadrant strictement leur temps de jeu. , insiste Abdelatif Benazzi.en faisant en sorte qu’ils ne disputent pas plus de 25 matchs par saison (ou 2 000 minutes de temps de jeu), limite fixée aux joueurs partis en Nouvelle-Zélande.
Un an après leur tournée obscurcie par les affaires extrasportives en Amérique du Sud – propos racistes de Melvyn Jaminet et accusations de viol visant Oscar Jegou et Hugo Auradou –, les Bleus du XV de France se frottent, samedi, à l’un des plus grands défis du rugby mondial : affronter les All Blacks sur leurs terres. En espérant que ce choc symbolique ne s’apparente pas à un rendez-vous manqué.
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