Notre système de protection sociale, qui célèbre cette année ses quatre-vingts ans d’existence, n’a jamais été dans un état aussi alarmant. Les mises en garde sur la soutenabilité de son financement ont beau se multiplier, rien n’y fait. Après une légère amélioration dans la foulée de la crise sanitaire, le creusement des déficits s’accélère de nouveau, tandis que les solutions pour y remédier tardent à être prises. Face à cette apathie du pouvoir politique, la Cour des comptes hausse le ton. De façon inédite, son « Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale », publié lundi 26 mai, parle désormais d’un risque de , qui pourrait mener à du système.
Si cet alarmisme est récent, l’état calamiteux des comptes sociaux ne l’est pas. Le déficit, censé se stabiliser en 2024, a finalement dérapé de près de 5 milliards d’euros pour dépasser les 15 milliards. Et, cette année, il se creusera davantage, principalement en raison du déséquilibre de la branche maladie. Les 22 milliards de déficit prévus dans la loi de financement de la Sécurité sociale, votée en février, semblent déjà difficilement tenables. Malgré les rares mesures d’économies prises en 2025, la situation devrait continuer à empirer avec plus de 24 milliards de déficit en 2028, si rien n’est fait.
Jusqu’à présent, la France a trouvé des expédients pour repousser sans cesse les mesures douloureuses mais inéluctables qui permettraient de rééquilibrer ses comptes sociaux. La Cour des comptes prévient que l’exercice est en train d’atteindre ses limites. Dès cette année, la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) n’aura plus les ressources suffisantes pour jouer son rôle. L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, censée prendre le relais, pourrait rencontrer des difficultés pour se refinancer sur les marchés des capitaux à court terme, pointe le rapport. Afin d’éviter le risque d’un défaut de paiement, une solution consisterait à changer la loi pour prolonger la durée de vie de la Cades. Mais ce pis-aller ne fera que gagner un peu de temps, sans pour autant stopper les déficits, qui continueront à s’aggraver.
Cette dérive continue des comptes sociaux n’est pas acceptable. La France ne traverse ni crise économique ni crise sanitaire. Il n’y a donc aucune raison pour s’accommoder de tels déséquilibres, dont le financement sera assumé par les générations futures. Désormais pèse le risque que les prestations sociales ne puissent plus être garanties. Attendre que cette menace se concrétise serait totalement irresponsable.
Les solutions de maîtrise des dépenses et d’augmentation des recettes ont fait l’objet de nombreux rapports qui n’ont jamais été suivis d’effets, faute de consensus politique. Malheureusement, celui-ci paraît plus que jamais hors d’atteinte. En l’absence de majorité à l’Assemblée nationale, le gouvernement peine à faire bouger les lignes sur le financement de la protection sociale. Il sait qu’il ne pourra pas se permettre cet automne de faire voter un budget de la Sécurité sociale aussi peu ambitieux que celui qui lui avait permis d’éviter la censure. La situation critique des comptes sociaux exige un sursaut de la part du Parlement pour trouver des compromis. Même si ceux-ci s’annoncent douloureux pour les Français, y renoncer par calcul politique exposerait le pays à un dangereux saut dans l’inconnu.
Le Monde
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