A l’orée de sa panthéonisation en juin 2026, chacun peut s’approprier, comme il l’entend, les écrits et la figure du grand historien Marc Bloch, rénovateur de l’historiographie française et martyr de la résistance, assassiné le 16 juin 1944 par les nazis. On ne peut que le souhaiter vivement. Encore faut-il le faire dans un esprit de compréhension, dans un souci de justesse.
Son instrumentalisation à des fins qui sont à l’opposé de ses positions et de ses engagements ne peut être qu’un pitoyable détournement. C’est ce que vient de faire le président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, en citant l’historien dans une lettre au ministre de l’intérieur, dans laquelle il reproche à celui-ci de refuser de communiquer le nombre d’étrangers en situation irrégulière, reprenant son hostilité obsessionnelle aux étrangers et aux immigrés.
Peu importe, en fait, la citation, tirée de , qui n’a aucun rapport avec le contexte contemporain et qui se voulait à l’opposé de tout repli, exhortant au dépassement de soi pour reconstruire le pays, pas au rejet pratiqué à grande échelle par la France de Vichy.
Cet ouvrage a été rédigé à l’été 1940 pour analyser les causes de la débâcle française et encourager les jeunes générations à libérer le pays de l’occupant nazi, et à le reconstruire sur des bases sociales solidaires. Il est difficilement supportable de voir un parti, le RN, anciennement Front National et fondé justement par des partisans des nazis, s’appuyer sur celui dont le destin de français juif fut bouleversé par les lois antisémites du régime de Vichy qui collaborait avec l’Allemagne nazie et reniait les valeurs républicaines.
Non, Jordan Bardella, on ne peut pas citer Marc Bloch, premier historien à mettre en valeur une histoire de l’Europe ouverte, pour alimenter le rejet des étrangers en France. A vrai dire, le président du RN n’est pas le premier à aller piocher des citations de Bloch pour les détourner au profit de l’extrême droite. Jean-Marie Le Pen, sa fille Marine et sa petite-fille Marion Maréchal ont aussi repris une citation de l’historien, toujours la même, toujours sans contexte ni explication, parce qu’elle semblait appeler à une communion des Français dans leur longue histoire, monarchiste comme révolutionnaire.
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